Le manque de désir sexuel[1] est une plainte fréquente, en particulier chez les femmes[2]. Ceci s’explique généralement par l’histoire individuelle de la personne et sa relation de couple. Pourtant, la sexualité évolue selon les époques et les cultures et serait donc influencée par des facteurs sociétaux[3]. Quels pourraient être les facteurs sociétaux qui jouent sur le manque de désir sexuel rapporté par de nombreuses femmes ?
3 causes sociétales possibles
La répartition inégalitaire des tâches domestiques et la charge mentale
Les tâches domestiques ainsi que la charge mentale[4] inhérente à leur organisation est majoritairement portée par les femmes.
Par exemple, en Wallonie, les hommes consacrent en moyenne 11 heures par semaine en moins aux tâches domestiques (travail ménager et soin et éducation des enfants) que les femmes[5]. Même si les femmes prestent en moyenne 7 heures de travail rémunéré en moins que les hommes, comme elles ont un surplus de travail domestique, elles ont en définitive une charge de travail plus élevée que les hommes. Ainsi, les femmes ont environ 4 heures de temps libre en moins par semaine que les hommes, sans compter le temps nécessaire à organiser mentalement toutes ces tâches, autrement dit le temps pris par la charge mentale.
Cela fait donc du temps en moins que les femmes auraient pu consacrer au développement de leur sexualité (que cela soit par la masturbation ou les rêveries sexuelles, par exemple) et donc une possibilité amoindrie d’investir le domaine de la sexualité et d’entretenir leur désir sexuel.
Les violences sexistes et sexuelles
Les violences physiques et/ou psychologiques sont identifiées comme l’une des causes possibles du manque de désir sexuel. Cependant, les violences sont envisagées au niveau individuel : une personne a vécu de la violence et cela explique qu’elle manque de désir sexuel, autrement dit c’est lié à son histoire personnelle.
Or, les violences à l’égard des femmes constituent un phénomène sociétal et touche toutes les femmes, directement ou indirectement. Par exemple, 98% des femmes rapportent vivre du harcèlement sexiste dans l’espace public[6] et la violence physique et/ou sexuelle entre (ex-)partenaires touche 1 femme sur 4 en Belgique[7].
Ainsi, les violences à l’égard des femmes pourraient contribuer à la diminution du désir sexuel rapporté par nombre d’entre elles.
Pour lutter contre les violences à l’égard des femmes, un travail de sensibilisation est essentiel. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consultez nos dossiers thématiques sur les violences sexuelles et les violences entre (ex-)partenaires.
Des pratiques inappropriées
Les pratiques sexuelles les plus fréquentes (dans les couples hétérosexuels en particulier) ne sont pas adaptées pour susciter un orgasme chez les femmes. En effet, dans notre société, la sexualité des hommes hétérosexuels cisgenres[8] est valorisée, au détriment des autres sexualités. Par exemple, lors d’un rapport sexuel, 83% des couples hétérosexuels français pratiqueraient une pénétration sans stimulation de la partie externe du clitoris. Or, la stimulation du clitoris est importante pour favoriser l’atteinte de l’orgasme chez les femmes.
Ceci peut expliquer le phénomène de l’ « orgasm gap » qui renvoie à la différence observée entre la fréquence des orgasmes chez les femmes et chez les hommes, lors de rapports hétérosexuels.
Bien que l’orgasme ne soit pas obligatoire pour qu’un rapport sexuel soit agréable, le phénomène d’« orgasm gap » est interpellant car il révèle que les inégalités entre les femmes et les hommes s’insinuent jusqu’au sein des rapports sexuels.
Ainsi, en moyenne, les femmes atteignent moins souvent l’orgasme lors de rapports hétérosexuels puisque la stimulation du clitoris est négligée. Dès lors, il n’est pas étonnant que le désir pour les relations sexuelles serait diminué, si celles-ci ne procurent pas de plaisir[9].
Il existe d’autres causes sociétales possibles
Ce ne sont que 3 pistes d’explications sociétales parmi d’autres. Les points suivants auraient également pu être abordés : la chosification des femmes dans les médias, l’internalisation du sexisme, le tabou de la sexualité des femmes et du plaisir féminin, l’influence de la pornographie mainstream sur nos représentations, ou encore la crainte de la grossesse non désirée renforcée par la stigmatisation de l’avortement, … Et la liste n’est pas exhaustive ! Mais cela permet déjà de replacer l’individu dans le contexte sociétal qui l’entoure et de prendre conscience de l’influence de la société sur celui-ci.
Ainsi, si le manque de désir sexuel est en partie lié à des causes sociétales, au lieu de faire peser toute la responsabilité sur les individus pris isolément, il devient fondamental de changer aussi la société.
Cela passe, entre autres, par : une répartition égalitaire du travail domestique, la lutte contre les violences faites aux femmes (notamment à travers la prévention), et la généralisation de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS).
Parce que tout un chacun-e a le droit de vivre sa sexualité comme elle/il l’entend et de s’épanouir sexuellement.
Pour plus d’informations sur la thématique de la sexualité féminine et en particulier sur le plaisir féminin, consultez notre campagne « les dessous du plaisir féminin ».
Pour toute question en lien avec la sexualité, vous pouvez également prendre rendez-vous avec un-e professionnel-le dans l’un de nos centres de planning familial.
[1] Le manque de désir sexuel n’est pas pathologique en soi. Certaines personnes n’en ressentent pas du tout et pour les autres, il est normal que leur désir fluctue, c’est-à-dire qu’il y ait des périodes où il est élevé et d’autres où il l’est moins.
[2] Hendrickx, L., Gijs, L., & Enzlin, P. (2014). Prevalence rates of sexual difficulties and associated distress in heterosexual men and women: Results from an internet survey in flanders. Journal of Sex Research, 51(1), 1-12. doi:http://dx.doi.org.proxy.bib.ucl.ac.be/10.1080/00224499.2013.819065
[3] Richgels, P. B. (1992). Hypoactive Sexual Desire in Heterosexual Women: Women & Therapy, 12(1-2), 123–135. doi:10.1300/j015v12n01_10
[4] La charge mentale recouvre : « le fait d’avoir en permanence dans un coin de la tête la préoccupation des tâches domestiques et éducatives, même dans les moments où on n’est pas dans leur exécution » (Anna Safuta, analyse Soralia 2017. « Aider n’est pas partager :La charge mentale des femmes en couple hétérosexuel ». Disponible sur : http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2017/12/Analyse2017-Charge-mentale.pdf)
[5] Anna Safuta, analyse Soralia 2017. Ibid.
[6] Vie Féminine, 2017. « Le sexisme dans l’espace public : c’est partout, tout le temps et sous toutes les formes ! ». Disponible sur : http://engrenageinfernal.be/wp-content/uploads/2016/10/Etude-Sexisme-web.pdf
[7] FRA (2014). Violence à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’UE. Disponible sur : https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra-2014-vaw-survey-at-a-glance_fr_0.pdf
[8] « La majorité des personnes s’identifient relativement au genre qui leur a été assigné à la naissance (par exemple : une personne assignée femme à la naissance qui se définit en tant que femme). Ces personnes sont dites cisgenres ». https://www.sofelia.be/5-infos-pour-mieux-comprendre-la-notion-de-genre/
[9] Richgels, P. B. (1992). Op. Cit.