Le 15 juillet 2020, le vote de la proposition de loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en Belgique et améliorant ses conditions d’accès, a été reporté pour la 4ème fois. Notre Fédération de Centres de Planning familial déplore ce report devant le Conseil d’Etat, qui est à l’initiative du CD&V, de la N-VA et du Vlaams Belang. En effet, comme ce fut déjà le cas le 2 juillet 2020, ces partis ont déposé une nouvelle série d’amendements [1] que le Conseil d’Etat doit analyser. Le règlement de la Chambre ne prévoit pas le nombre de recours possible devant cette structure mais jusqu’ici, les député·e·s n’en avaient jamais abusé.
Le 15 juillet dernier à Bruxelles, une vingtaine de femmes drapées dans le costume rouge et blanc des « servantes écarlates » ont dénoncé l’instrumentalisation de la dépénalisation de l’avortement aux dépens des femmes [2]. Un message qu’ont ignoré, une nouvelle fois, les partis hostiles aux droits des femmes. Le texte actuellement sur la table, en faveur de la liberté des femmes à disposer de leur corps, est pourtant soutenu par une majorité de parlementaires (le PS, le SP.A, Ecolo-Groen, le PTB-PVDA et une partie du MR et de l’Open VLD).
Le CD&V et la N-VA font de l’avortement une affaire de gouvernement [3]
Le CD&V plaide pour inscrire le dossier de l’avortement à l’agenda de la formation d’un gouvernement fédéral. Même son de cloche du côté de la N-VA qui a déclaré via son Président de parti « je peux vous dire que si des partis donnent le feu vert à une loi que je trouve scandaleuse, ce sera compliqué de faire comme si de rien n’était avec eux le lendemain » [4]. Mais, via quels moyens ces partis peuvent-ils postposer le vote d’un texte de loi ? A coup de dépôt d’amendements. Précisons que le CD&V souhaitait que la proposition puisse à nouveau être examinée en commission mais aucune majorité ne se dessinait sur ce point [5]. Qui plus est, ce dossier est dans l’arène politique belge depuis un long moment et, depuis plus d’une dizaine d’années, la société civile et les acteurs de terrain plaident pour une réelle dépénalisation de l’avortement. Une vingtaine d’expert·e·s ont été entendus en mai et en juin 2018 sur ce dossier et, avant d’arriver en séance plénière, ce texte a été adopté à deux reprises en Commission Justice. 30 ans après la dépénalisation partielle de l’IVG en Belgique, le texte actuellement sur la table soutenu par une majorité de parlementaires s’inscrit dans la continuité de la liberté des femmes à être maitresses de leur propre corps et de leurs actes.
Au vu de ces dires des partis hostiles au droit à l’IVG, il est indéniable que le droit à l’avortement fait l’objet de marchandage politique. Notre Fédération s’insurge face à ces jeux politiques qui minimisent et relèguent au second plan les droits des femmes.
Nous nous trouvons face à des attaques répétées au droit à l’avortement qui s’inscrivent dans le contexte de continuum des violences faites aux femmes. Il est urgent que chaque parlementaire se rende compte de l’ampleur des violences faites aux femmes – le contrôle exercé sur le corps des femmes étant une forme de violence – afin de pouvoir adopter les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre celles-ci.
Quelles avancées ce texte propose-t-il ?
Début 2019, plusieurs partis politiques (PS, Ecolo-Groen, PTB-PVDA, Open VLD, DéFi, SP.A, MR) se sont réunis dans le but d’aboutir à un texte commun dépénalisant l’IVG et améliorant ses conditions d’accès. Ce dernier a été adopté par les député·e·s de la Commission Justice en première lecture le 27 novembre 2019 et en seconde lecture le 20 décembre 2019. Revenons sur les trois principales avancées de ce texte.
Reconnaitre l’IVG comme un acte médical
Ce texte supprime les sanctions pénales spécifiques à l’encontre des femmes et des médecins en cas de non-respect des conditions imposées par la loi. Ces sanctions pénales vont d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 50 à 500 euros. Notre Fédération de Centres de Planning familial estime que ces sanctions contribuent à maintenir une certaine stigmatisation de l’avortement et à le rendre tabou.
En tant qu’institution défendant le droit à l’avortement pour toutes les femmes, la Soféliaconsidère que l’IVG est un acte médical à part entière et que les femmes et les médecins sont des êtres responsables.
La désinformation fait aussi partie des stratégies de communication utilisées par les mouvements anti-choix [6]. Le Président du CD&V a avancé « si cette loi sort du droit pénal, vous ne pouvez plus offrir de protection. Et cela conduit à l’incertitude, tant pour le médecin que pour la femme » [7]. Supprimer dans la loi relative à l’IVG les sanctions pénales spécifiques à l’égard des médecins en cas d’infraction ne signifie aucunement qu’elles·ils seront déresponsabilisé·e·s de leurs actes étant donné que le droit commun s’applique. En supprimant les sanctions pénales à l’égard des femmes et des médecins, la législation marquera au fer rouge qu’elles·ils sont des êtres responsables.
Allonger le délai légal à 18 semaines de conception
Allonger le délai légal dans lequel il est possible d’avorter en Belgique de 12 à 18 semaines de conception permettrait de répondre aux besoins de centaines de femmes. Chaque année, environ 500 femmes sont redirigées vers les Pays-Bas car elles ont dépassé le délai légal des 12 semaines prévu par la loi belge avec le coût humain (notamment la possibilité de se déplacer) et financier que ce voyage implique (environ 1.000 euros hors frais de déplacement). Dès lors, la Belgique souhaite-t-elle continuer ce jeu hypocrite en privilégiant la politique de l’autruche ?
L’allongement du délai légal en Belgique de 12 à 18 semaines de conception n’aura pas pour conséquence que les femmes retarderont leur demande d’IVG. Selon nos Centres de Planning familial, les IVG sont demandées de plus en plus précocement dans l’évolution de la grossesse.
Précisons aussi qu’à 18 semaines de conception, le fœtus n’a pas atteint le seuil de viabilité. En Belgique, les soins intensifs ne sont habituellement pas prodigués avant la 24ème semaine d’aménorrhée. Ils le sont systématiquement après 26 semaines.
Pour finir, si elle est adoptée, cette nouvelle loi n’imposera aucunement à tou·te·s les professionnel·le·s de pratiquer et/ou d’accompagner des IVG jusqu’à 18 semaines de conception. C’est aux politiques, en concertation avec le monde médical, notamment le secteur extrahospitalier, de réfléchir à la mise en place d’institutions et à la formation de médecins et gynécologues qui pourront prendre en charge ces IVG du second trimestre.
Instaurer un délai de réflexion minimal de 48 heures
Il s’agit ici de diminuer le délai de réflexion entre la première consultation et l’IVG. Il passerait de 6 jours à 48 heures. Pour certaines femmes, ces 6 jours d’attente peuvent apparaître comme une souffrance supplémentaire dans un moment déjà difficile. Rappelons ici qu’il s’agit d’un délai minimal. Cela signifie que si une femme désire prendre le temps de réfléchir davantage que 48 heures, elle pourra le faire.
La lutte continue !
Cette proposition de loi reviendra sur la table à l’automne, après les vacances parlementaires. Soféliarestera mobilisée, aux côtés des femmes, de la société civile, des professionnel·le·s et des associations de défense des droits des femmes, afin de faire aboutir favorablement ce dossier. Le droit des femmes à disposer de leur corps constitue un réel enjeu féministe et ne doit en aucun cas faire l’objet d’un quelconque marchandage politique. Nous avons besoin de vous pour faire circuler ce message et continuer la lutte !
Le 16 décembre 2019, une pétition intitulée « IVG : respectons le choix des femmes et leur droit à la santé ! » a été lancée. Cette pétition avance que toutes les femmes ont droit, sans distinction, à l’avortement jusqu’à 18 semaines de conception. Si vous souhaitez la signer : https://miniurl.be/r-39dm.
[1] Les amendements sont des modifications proposées à un texte.
[2] « Dépénalisation de l’avortement : des « servantes écarlates » protestent contre l’affrontement politique », rtbf.be, 15 juillet 2020, https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_depenalisation-de-l-avortement-des-servantes-ecarlates-protestent-contre-l-affrontement-politique?id=10543082 (consulté le 23 juillet 2020).
[3] « Dépénalisation de l’IVG : le vote reporté pour la quatrième fois », rtbf.be, 15 juillet 2020, https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_depenalisation-de-l-ivg-le-vote-reporte-pour-la-quatrieme-fois?id=10543371 (consulté le 23 juillet 2020).
[4] « Négociations fédérales : Bart De Wever fait aussi de la question de l’avortement un point de rupture », lesoir.be, 11 juillet 2020, https://www.lesoir.be/312682/article/2020-07-11/negociations-federales-bart-de-wever-fait-aussi-de-la-question-de-lavortement-un (consulté le 27 juillet 2020).
[5] « Le CD&V lie le dossier IVG à la formation d’un gouvernement, pas le CDH », lesoir.be, 2 juillet 2020, https://www.lesoir.be/311078/article/2020-07-02/le-cdv-lie-le-dossier-ivg-la-formation-dun-gouvernement-pas-le-cdh (consulté le 27 juillet 2020).
[6] MALCOURANT Eloïse, « Les stratégies de communication des anti-IVG : quelles réactions ? », Analyse Soralia, 2017, http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2017/11/Analyse2017-strategies-de-communication-anti-IVG.pdf (consulté le 27 juillet 2020).
[7] « Coens : “Nous allons essayer de reporter le vote sur l’IVG” », lecho.be, 15 juillet 2020, https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/coens-nous-allons-essayer-de-reporter-le-vote-sur-l-ivg/10239271.html (consulté le 27 juillet 2020).