À l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Soralia et Sofélia souhaitent rappeler que la suppression du statut de cohabitant·e est une condition nécessaire, urgente et juste pour sortir une multitude de femmes de la pauvreté.
Crise économique, inflation et taux de chômage en hausse, voici les raisons qui, dans les années 1980, ont poussé le gouvernement fédéral à diminuer ses dépenses à tout prix en rabotant, encore une fois, les aides de la Sécurité sociale. Depuis lors, le montant du revenu de remplacement (allocation de chômage, d’insertion, Revenu d’Intégration Social, GRAPA, etc.) dépend de notre situation familiale et surtout, des revenus (1) de notre conjoint·e ou de la personne avec qui nous partageons notre logement.
Concrètement, si nous vivons seul·e, nous sommes considéré·e comme isolé·e, si nous vivons avec un ou plusieurs enfant·s ou avec une personne ayant peu ou pas de revenus, nous bénéficions du statut de « chef·fe de ménage » et si nous vivons avec un·e conjoint·e ou un parent (2) ayant, cette fois, un revenu professionnel ou de remplacement, alors nous héritons du statut de cohabitant·e. Sauf que le revenu qui nous est octroyé dans ce dernier cas n’équivaut non seulement qu’à la moitié (3) du revenu d’une personne isolée mais n’atteint même pas la moitié du seuil de pauvreté, évalué en 2021 à 1293€ (4). |
Cohabitant·e, chef·fe de ménage et isolé·e : un système injuste et inégalitaire
La création de ces trois statuts repose sur la supposition que, si nous vivons en couple ou en cohabitation, nous partageons forcément nos charges et nos dépenses ! Pourtant, ce n’est pas parce que nous vivons avec quelqu’un·e que nous prenons notre douche ensemble ou que nous sommes systématiquement dans la même pièce, chauffée et éclairée, au même moment. Au contraire, il est possible que l’un·e ou l’autre ait des besoins spécifiques, par exemple, en termes de soins de santé.
Ce modèle continue par ailleurs à défendre et à prôner une vision paternaliste – et sexiste – de la société, qui pourtant a bien évolué depuis sa mise en place à la sortie de la 2ème guerre mondiale. En effet, à l’époque, les familles se composaient majoritairement d’un mari qui travaille et d’une épouse qui reste au foyer pour s’occuper du ménage et des enfants. Cette conception est aujourd’hui plus qu’archaïque et complètement étriquée. D’une part, les femmes se sont battues pour avoir le droit de travailler et elles le font pour la plupart, en plus des tâches domestiques qu’elles sont toujours majoritaires à remplir. Et, d’autre part, les configurations familiales ont aussi évolué : familles monoparentales, homoparentales, familles recomposées, personnes vivant seules, etc., sont devenues monnaies courantes.
Le statut de cohabitant·e : une entrave majeure à l’autonomie des femmes
Les femmes sont celles qui subissent le plus les conséquences de ce statut, tout simplement parce que ce sont elles qui, systématiquement, en héritent le plus. Pourquoi ? Parce qu’au sein du couple (5), la charge des enfants et du ménage reste une histoire de femmes, ce qui les
encourage ou les oblige à rester à la maison ou au moins, à diminuer leur temps de travail. Et lorsqu’elles travaillent, elles sont employées majoritairement dans des secteurs où elles n’ont pas d’autres choix que de travailler à temps-partiel (secteur du nettoyage, des soins de santé, de la vente, de la petite enfance, etc.) et où les contrats sont précaires (bas salaire, contrat de courte durée, horaires flexibles, etc.). Toutes ces raisons cantonnent les femmes à être considérées comme étant à charge de leur mari ou de leur conjoint : sans ou avec peu de revenus, elles voient ce dernier bénéficier du statut de chef de ménage tandis que, elles, n’ont rien et doivent continuer à vivre au crochet de quelqu’un. En parallèle, lorsqu’elles sont considérées comme isolées ou cheffes de ménage, elles ne peuvent se permettre de cohabiter avec quelqu’un d’autre (6) de peur de voir leur statut passer de cheffe de ménage à celui de cohabitante.
Une revendication fondamentale pour plus d’égalité !
Le statut de cohabitant·e est un frein considérable à l’égalité entre les hommes et les femmes dans notre pays. C’est pourquoi, en cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous nous mobilisons une fois encore (comme nous le faisons déjà depuis plus de 40 ans) pour que la suppression de ce statut devienne une priorité politique. Ce projet ambitieux nécessite par ailleurs :
- De récolter des données statistiques sur le coût réel de la suppression de ce statut par catégorie d’allocataires sociales·aux et sur le nombre de personnes concernées par ce statut, ventilé par genre et catégorie ;
- D’informer et de sensibiliser le grand public sur le fonctionnement de la Sécurité sociale et sur ses impacts, notamment, genrés.
In fine, ce que nous revendiquons, ce n’est pas seulement la suppression du statut de cohabitant∙e mais bien, de manière plus générale, l’individualisation des droits sociaux, afin que nos droits ne soient plus conditionnées à une tierce personne. Néanmoins, nous sommes conscient·e·s de l’importante réforme que cela nécessite, c’est pourquoi nous pensons que supprimer le statut de cohabitant∙e est la première étape, la plus judicieuse pour contrer les inégalités mais aussi pour faire face aux multiples crises (environnementale, énergétique, économique et sociale) que la Belgique traverse.
(1) Qu’il s’agisse de revenus professionnels ou de remplacement.
(2) Jusqu’au 3ème degré.
(3) A partir du 49ème mois de chômage, par exemple.
(4) Pour un·e isolé·e en 2021 selon Statbel.
(5) Hétérosexuel.
(6) Pour rappel, plus de 80% des familles monoparentales ont à leur tête une femme.