Pour télécharger le communiqué de presse, cliquez ici.
À l’occasion du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, Soralia et Sofélia, associations d’éducation permanente féministes et progressistes, veulent mettre l’accent sur une dimension encore trop souvent ignorée, celle des violences économiques. Cette notion peut être décortiquée sous deux angles distincts mais complémentaires : les violences économiques commises dans le cadre du couple ou après la séparation et les violences économiques perpétrées par la société elle-même.
Les violences économiques entre (ex-)partenaires
Tout comme les violences verbales, physiques et sexuelles, les violences économiques peuvent faire partie des violences exercées entre (ex-)partenaires. Ces violences tournent autour de l’argent, sa répartition, son utilisation, son accès. L’abuseur (1) utilise l’argent comme un moyen de contrôle et de prise de pouvoir sur la victime. Il crée une situation de dépendance économique entre lui et la victime et affecte la capacité de celle-ci à subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, pendant la vie commune ou après une séparation. Le site Internet SOS Violence conjugale au Canada détaille six manières de commettre des violences économiques (2) :
- Contrôler les dépenses et la gestion financière du ménage par exemple en critiquant les achats des autres, en surveillant les comptes personnels ou en imposant ses choix dans les décisions financières du foyer ;
- Voler de l’argent par exemple en utilisant une carte de débit ou de crédit sans le consentement de sa détentrice, en empruntant de l’argent sous de faux prétextes ou en exigeant de l’argent sous la menace ;
- Usurper l’identité pour obtenir une carte de crédit ou créer des dettes au nom de sa partenaire ;
- Limiter l’accès à l’information relative aux finances de la famille, par exemple en dissimulant des revenus personnels ou en cachant des documents administratifs importants ;
- Contrôler la vie professionnelle pour porter atteinte aux revenus de la victime, par exemple en l’empêchant d’étudier, d’accepter une promotion ou en faisant pression pour qu’elle diminue totalement ou en partie ses heures de travail ;
- Menacer la victime de vengeance financière pour la contraindre à rester dans la relation.
Même après la séparation du couple, l’argent peut continuer d’être utilisé comme moyen de contrôle et de pression. En témoigne le nombre élevé de contributions alimentaires impayées par les pères pour couvrir les besoins et l’éducation de leur·s enfant·s. Ces pères n’acceptent pas d’avoir perdu la maîtrise de la gestion budgétaire du ménage. Ils sont persuadés que leur argent sera utilisé n’importe comment par leur ex-compagne, que celles-ci surévaluent les dépenses nécessaires aux enfants et leur demandent une contribution injuste (3). En Belgique, plusieurs méthodes de calcul des contributions alimentaires sont employées par les juges, avocat∙e∙s ou notaires et amènent des résultats très variables les uns des autres. La plateforme associative des créances alimentaires, dont Soralia fait partie, milite depuis longtemps pour l’instauration d’un calculateur unique et obligatoire. L’enjeu est de taille car un calcul objectif, déterminé « au plus juste », favorise le paiement régulier et sans contestation de la part du débiteur et évite également à un certain nombre de mamans solos de s’enliser dans la précarité.
Ce que nous voulons :
- Mettre en place un calculateur unique et obligatoire des contributions alimentaires
- Augmenter la visibilité et les moyens d’action du SECAL (Service des Créances Alimentaires)
Le PAN, Plan d’Action National de lutte contre les violences basées sur le genre 2021-2025, prévoit une série d’autres mesures pour soutenir l’autonomie financière des familles monoparentales victimes de violences entre (ex-)partenaires. Ce plan traduit (enfin) l’engagement de la Belgique, au niveau national, à mettre en application la « Convention d’Istanbul » ratifiée par notre pays en 2016. Cette Convention, initiée par le Conseil de l’Europe, crée un cadre légal pour prévenir les violences à l’égard des femmes, protéger les victimes (dont les enfants), lutter contre l’impunité des auteurs et développer des politiques intégrées et globales. Jusqu’à présent, l’intention de l’État belge à appliquer la Convention dite d’Istanbul était restée plutôt timide.
Cependant, certaines actions ont tout de même vu le jour comme la création de la Plateforme nationale de la société civile pour le suivi du PAN dont Sofélia fait partie. Cette plateforme a pour objectif de rendre des avis ainsi qu’un rapport intermédiaire et final concernant la mise en place, sur le terrain, des différentes mesures du PAN. Sofélia, en tant que Fédération de Centres de Planning familial, lutte déjà activement au quotidien contre les violences basées sur le genre, dont les violences économiques. Tous les services proposés par les Centres de Planning familial sont rendus accessibles financièrement même aux personnes les plus précarisées que ce soient pour des consultations juridiques, sociales, psychologiques ou encore médicales (4).
Ce que nous voulons :
- Assurer des budgets pérennes et une évaluation des différents Plans contre les violences et renforcer la collaboration entre les différents niveaux de pouvoir
- Permettre un meilleur accès à l’information des victimes de violences sur leurs droits et sur les ressources à leur disposition
Les violences économiques à l’échelle de la société
Néanmoins, malgré l’existence de Plans et conventions de tous types, la société belge, par ses institutions, ses dysfonctionnements, ses réglementations, génère aussi des violences économiques à l’encontre des femmes. Prenons le cas de l’écart salarial persistant. Selon un rapport établi par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes en 2021, en Belgique, l’écart salarial entre les femmes et les hommes au niveau des salaires annuels, c’est-à-dire sur base des temps pleins et temps partiels confondus, s’élevait toujours à 23,1 %. Cet écart salarial est important car il reflète le fait que les femmes travaillent davantage à temps partiel que les hommes. Et même lorsque l’écart salarial est corrigé pour la durée de travail, c’est-à-dire si la comparaison s’effectue sur base de ce que ces femmes auraient gagné si elles avaient travaillé à temps plein, l’écart salarial est toujours de 9,2 % (5)… Les femmes gagnent donc nettement moins d’argent que les hommes !
Une des conséquences majeures de ce déséquilibre salarial est évidemment le fait que les femmes sont plus à risques de précarisation que les hommes, ce qui compromet grandement leur accès à une vie digne, caractérisée par l’accès au logement, aux soins de santé, à une alimentation de qualité ou encore à la sécurité, de manière générale. Ainsi, selon une enquête de Solidaris datant de 2016, en Belgique, deux tiers des travailleuses et travailleurs pauvres sont des femmes (6) !
Par ailleurs, le temps de travail souvent réduit des femmes a un impact direct sur le calcul de leur pension car elles peinent à atteindre les 45 ans de carrière complète et ne peuvent dès lors toucher une pension complète. Les femmes retraitées ont cinq fois plus de risques de sombrer dans la pauvreté que les hommes retraités. Leur pension s’élève en moyenne à 882 €, contre 1.181 € pour les hommes, soit une différence de 26 %, alors qu’un séjour en maison de repos coûte en moyenne 1.562 € par mois… L’écart de pension entre les femmes et les hommes constitue une violence économique de plus dans le parcours des femmes.
Et lorsqu’une femme s’installe en colocation parce que sa faible pension ne lui permet plus de payer seule un loyer, elle se retrouve confrontée au statut de cohabitant·e (7). C’est l’histoire de Jeanne, relatée dans un article d’Axelle Mag : « […] on m’a retiré 100 euros de la GRAPA car l’institution estime que je suis “cohabitante”, à cause de la colocation. Pourtant, j’ai fourni tous les justificatifs, dont le contrat de bail sur lequel il est stipulé qu’il s’agit d’une colocation. Nous avons chacun notre frigo, nous ne mangeons même pas ensemble… Mais le Service des Pensions continue à penser que je suis en ménage, à 74 ans, avec des jeunes dans leur vingtaine ! C’est hallucinant ! Ils me traitent comme une criminelle » (8).
Ce que nous voulons :
- Supprimer le statut de cohabitant∙e
- Individualiser les droits sociaux afin que ceux-ci ne soient plus conditionnés à une tierce personne
Les violences économiques sont aussi monnaie courant partout dans le monde, notamment au Maroc
En mars 2023, une délégation de travailleuses de l’ASBL Soralia, accompagnées de deux travailleuses de l’ONG Solsoc, s’est rendue à Casablanca au Maroc pendant 5 jours. Le but de ce déplacement était d’aller à la rencontre des associations marocaines partenaires de Solsoc, actives en faveur des droits des femmes. Sur place, l’équipe belge a pu échanger avec de nombreuses femmes – mais aussi plusieurs hommes – sur le thème de l’égalité dans la société marocaine. Les échanges ont mis en lumière que la problématique des violences économiques est également prégnante au Maroc. Rachida, dont nous avons recueilli le témoignage sur place, explique : « Après 7 ans de mariage, j’ai divorcé. Mon ex-mari ne payait pas la pension alimentaire, alors pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma fille, j’étais obligée de travailler. Le point de départ de beaucoup de femmes, ce sont les violences économiques ». En matière de violences économiques structurelles, l’écart salarial et le système d’héritage inégalitaire contribuent à précariser davantage les femmes marocaines que les hommes.
Pour faire face à ces discriminations, beaucoup de femmes marocaines se tournent vers l’économie sociale et solidaire en montant des coopératives de pâtisseries, de couture, de menuiserie, etc. Dans ces lieux de profonde solidarité féminine, elles apprennent un métier, obtiennent un revenu, se forment à connaître et revendiquer leurs droits. Ces petites entreprises, et les associations de quartier qui les soutiennent, contribuent de façon décisive à l’émancipation des femmes dans les quartiers populaires.
A la rencontre de la sororité au Maroc. Portraits de militant.e.s
Ce sont ces expériences de vie que nous vous invitons à venir découvrir au travers de notre exposition « À la rencontre de la sororité au Maroc. Portraits de militant·e·s par Solsoc et Soralia », installée le temps d’une soirée à La KOP (Rue Coenraets 72 à 1060 Bruxelles), le vendredi 24 novembre à partir de 17h. De 17h30 à 19h, une conférence sur le thème des violences économiques et de l’économie sociale et solidaire comme levier d’action sera organisée par Soralia et Solsoc, avec la participation d’une partie des femmes marocaines dont le portrait figure dans l’exposition.
(1) Afin de dénoncer le caractère systémique et sexiste des violences envers les femmes, nous choisissons de mettre certains termes exclusivement au masculin et non en inclusif.
(2) https://sosviolenceconjugale.ca/fr/outils/sos-infos/6-formes-de-violence-economique
(3) Dans la mesure où beaucoup de ces pères ne se sont jamais ou très partiellement préoccupés de leurs enfants pendant la vie de couple, ils ont peu connaissance des réels coûts pour habiller, soigner, nourrir un enfant, etc.
(4) Plus d’infos sur ces services spécifiques sur www.sofelia.be.
(5) SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, « Égalité Femmes-Hommes : l’écart salarial », en ligne, https://lstu.fr/qmF2r4_h (Consulté le 26 octobre 2023).
(6) BURGRAFF Eric, « Le travailleur pauvre est d’abord une travailleuse », Le Soir, 14 octobre 2016, en ligne, https://lstu.fr/HT6wqmaF (Consulté le 26 octobre 2023).
(7) Pour comprendre les multiples enjeux derrière ce statut et sa suppression espérée, voir l’outil pédagogique développé par Soralia : Individualisation des droits sociaux : l’affaire de toutes et tous, téléchargeable depuis son site Internet.
(8) WERNAERS Camille, « Étranglées par les cordons de la bourse », Axelle Mag, mars-avril 2022, en ligne, https://www.axellemag.be/etranglees-par-les-cordons-de-la-bourse/ (Consulté le 19 octobre 2023).