C’est une première décision de justice qui marque un tournant pour les personnes intersexes et les associations qui militent pour que leurs droits soient respectés. La Cour d’appel de Bruxelles a confirmé en février 2023 que l’opération réalisée à l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (HUDERF) sur une mineure intersexe n’était pas justifiée au moment et dans les conditions où elle a été réalisée. L’hôpital n’a pas informé correctement la patiente sur la variation intersexe et a précipité l’opération chirurgicale, sans proposer d’accompagnement psychologique adéquat.

Condamnation de l’HUDERF

La Cour d’appel de Bruxelles confirme la condamnation de l’HUDERF dans un dossier concernant une personne intersexe, à savoir une personne dont les caractéristiques sexuelles (1) ne correspondent pas entièrement aux normes médicales et sociales existantes, à savoir la binarité mâle-femelle / féminin-masculin (2).

L’affaire remonte à 2009. Coralie S., une adolescente de 16 ans présente une variation intersexe, qualifiée de « Syndrome de Mayer Rokitansky Küster Hauser », aussi connu sous l’acronyme MRKH par le monde médical, qui se manifeste par l’absence partielle ou totale de vagin et de l’utérus. Elle ne met pas en cause la bonne santé de la patiente. Cependant, l’hôpital qui la prend en charge pose un diagnostic pathologisant, en lui expliquant son cas comme s’il s’agissait d’une maladie à soigner et préconise une vaginoplastie visant à constituer un néovagin. Cette intervention chirurgicale, très lourde, est présentée comme la seule alternative à la patiente. L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles souligne que : « L’équipe médicale de l’HUDERF n’a jamais expliqué à Coralie S. qu’elle pouvait parfaitement vivre sans vagin et que si elle désirait néanmoins une intervention chirurgicale afin de créer un néo-vagin, il était prématuré de procéder à une opération aussi rare, lourde et compliquée au regard des circonstances de la cause. Il était également nécessaire qu’elle bénéficie au préalable d’un véritable soutien psychologique, ce qui n’a pas été le cas ».

Complications en cascade, sans aucun accompagnement psychologique

L’opération a lieu en janvier 2010, soit à peine 4 mois après l’indication de l’hôpital. S’en suivent des complications qui nécessitent de nouvelles opérations dans les mois qui suivent. Par ailleurs, le fait qu’elle soit mineure n’a pas été pris en compte dans le traitement décidé. L’hôpital n’a mis en place aucun accompagnement psychologique, aucune explication non plus de l’intersexuation, variation pourtant déjà bien documentée au moment de l’opération, et n’a pas non plus mentionné les risques et complications possibles de ces interventions à la patiente. Ces pratiques médicales mutilantes et discriminatoires (3) ont généré chez Coralie S. un stress post-traumatique. L’arrêt précise que les praticiens n’ont donc pas obtenu le consentement libre et éclairé de la patiente et de sa maman (4). 

Les enfants intersexes sont parfaits tels qu’iels sont

Les enfants et adultes intersexes sont pour la plupart en bonne santé. Certaines personnes intersexes ne découvrent leur intersexuation que fortuitement au détour d’examens médicaux pour toute autre raison, comme par exemple au moment d’un désir d’enfant ou à l’apparition d’une maladie qui touche tout autant les personnes dyadiques (5). Une variation des caractéristiques sexuelles ou variation intersexe n’implique pas intrinsèquement des problèmes de santé pour les personnes intersexes. Par contre, celle-ci entraîne des besoins spécifiques. Il n’existe pas de chiffres officiels, mais les Nations unies estiment que jusqu’à 1,7 % des personnes naissent intersexes6 : 1 bébé sur 60. Environ 196.000 personnes en Belgique. Selon les associations intersexes, la réalité est sans aucun doute supérieure. En effet, il existe plus d’une quarantaine de variations intersexes. Le monde médical, souvent peu informé sur les droits fondamentaux, tend encore trop souvent à vouloir « normaliser » les corps, à les « corriger » par des traitements médicaux ou des interventions chirurgicales. À l’échelle européenne, 62 % des personnes intersexes interrogées disent avoir subi un traitement chirurgical, 49 % un traitement hormonal et 47 % un autre traitement (7). 

Nombre de ces chirurgies modifient l’apparence ou la fonction sexuelle des organes génitaux
comme les réductions clitoridiennes, l’ablation de testicules fonctionnels et les vaginoplasties. La grande majorité de ces chirurgies ne sont pas nécessaires ni pour préserver ni protéger la santé (8). Ces interventions médicales non urgentes et pratiquées à des fins non thérapeutiques causent souvent de nombreux dommages physiques irréversibles, notamment des douleurs, une perte de sensibilité, des cicatrices dues aux lésions, parfois même la stérilisation, ainsi que des conséquences psychologiques tout au long de la vie telles que le syndrome de stress post-traumatique et le risque que le sexe assigné ne corresponde pas à l’identité de genre de la personne. En raison de ces risques, les chirurgies intersexes non consenties de manière éclairée sont considérées comme des violations des droits humains (9). Cependant, en l’état, ces procédures ne sont pas explicitement interdites en Belgique et sont même financées par la sécurité sociale.

Interdire et sanctionner les procédures médicales de normalisation

Les Nations unies ont sévèrement réprimandé la Belgique concernant les mutilations génitales et autres traitements dégradants que subissent les personnes intersexes. Une première condamnation a eu lieu le 28 février 2019 par le Comité des droits de l’enfant (Observations finales (2019) CRC/C/BEL/CO/5-6) (10). Une deuxième condamnation est prononcée sans équivoque par le Comite des droits de l’homme le 6 décembre 2019 (Observations finales (2019) CCPR/C/BEL/CO/6) (11). Une troisième condamnation a eu lieu par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels le 26 mars 2020 (Observations finales (2020) E/C.12/BEL/CO/5) (12). 
Les comités onusiens dénoncent les traitements inhumains, cruels et dégradants des procédures de normalisation imposées aux enfants intersexes, qu’ils qualifient de pratiques néfastes et préjudiciables. A cet égard, le Comité des droits de l’enfant invite l’État belge à interdire ces traitements ou actes chirurgicaux inutiles sur des enfants intersexes lorsqu’ils peuvent être reportés en toute sécurité jusqu’à ce que l’enfant soit en mesure de donner son consentement éclairé (13). Enfin le 1er novembre 2022, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a réprimandé la Belgique lui demandant de faire en sorte que ne soit plus pratiquée aucune intervention médicale irréversible, en particulier aucun acte de chirurgie sur les enfants intersexes (Observations finales (2022) CEDAW/C/BEL/CO/8) (14).

Garantir les droits fondamentaux

Il est aujourd’hui urgent d’établir un cadre juridique de protection des droits fondamentaux des personnes intersexes en adaptant la législation afin que la Belgique se conforme à ses obligations européennes et internationales. Des chercheur·ses l’ont appelée à le faire en octobre dernier (15). Plus précisément, Genres Pluriels, ainsi que les autres organisations signataires, demandent à nos législateurs de veiller notamment à ce que :
  •  les droits fondamentaux, l’intégrité physique, psychique et sexuelle ainsi que le droit à l’autodétermination des personnes intersexes soient réellement protégés (16) (17),
  • les interventions médicales dites « de normalisation » non consenties par la personne intersexe soient interdites et sanctionnées (18) et que des recours et réparations effectifs soient garantis pour les victimes,
  • les professionnel·le·s de santé soient pleinement formé·e·s à un comportement respectueux envers les personnes intersexes leur permettant ainsi qu’à leurs parents de recevoir des conseils et un soutien adéquats.
Voir aussi les références ci-dessous.

#IntersexRights #HumanRights #StopIntersexMutilations

Associations signataires

Amnesty International Belgique
Code, coordination des ONG pour les droits de l’enfant

Fédération Prisme

GAMS Belgique, Groupe pour l’Abolition des mutilations sexuelles féminines

Genres Pluriels

Intersex Belgium

Let’s Talk About Non Binary

Ligue des Droits de l’Enfant

Ligue des droits humains

Organisation Intersex International Europe e.V.

Plateforme école pour tou.t.e.s Commission LGBTQIA+

Progress Lawyers Network

RainbowHouse Brussels

Réseau Psychomédicosocial Trans* et Inter* Belge

Sofélia, fédération des centres de planning familial du réseau Solidaris

Personnes signataires

An Verleysen, Intersekse Vlaanderen, an@interseksevlaanderen.be
Véronique
van der Plancke, avocate au barreau de Bruxelles,
v.vanderplancke@quartierdeslibertes.be

Audrey Aegerter,
audrey.aegerter@ulb.be
Joël Le Déroff, PS en tous Genres,
joel.lederoff@gmail.com
Jenna Boeve, activiste,
jdaboeve@gmail.com
Sylvie Aerts, activiste,
sylvie.aerts@gmail.com
Flo Delval
, Let’s Talk About Non Binary, enbytalk@protonmail.com
Jean-Pierre Coenen, Ligue des Droits de l’Enfant,
jeanpierrecoenen@liguedroitsenfant.be
Quentin Maufort, membre militant Ligue des Droits de l’Enfant/plateforme école pour tou.t.e.s

Commission LGBTQIA+,
quentinmaufort@gmail.com
Pauline Gérard, Sofélia,
pauline.gerard@solidaris.be
Robin Bronlet, avocat au barreau de Bruxelles,
robin.bronlet@progresslaw.net
Max Nisol et Londé Ngosso, Genres Pluriels,
media@genrespluriels.be
Virginie Lardinois, Genres Pluriels,
virginie.lardinois@genrespluriels.be
Tommye Ritter, Genres Pluriels,
tommye.ritter@genrespluriels.be
Aurore Dufrasne, Genres Pluriels,
support@genrespluriels.be
Ambre Vinchon, Genres Pluriels,
ambre.vinchon@genrespluriels.be
Maxence Paquot, Genres Pluriels,
maxence.paquot@genrespluriels.be

(1) Caractéristiques biologiques qu’une personne possède à la naissance (structures chromosomique et ou génétique, hormonale, organes génitaux internes et externes) ou qu’elle développe pendant la puberté (pilosité, masse musculaire, poitrine, stature, pomme d’Adam, menstruations, etc.).
(2)
Les personnes intersexes peuvent s’identifier comme femmes, comme hommes, ou comme non binaires; elles peuvent être cisgenres ou transgenres. Les identités de genre des personnes intersexes sont plurielles. Les intersexuations n’ont rien à voir avec la sexualité. Les personnes intersexes sont des personnes ayant subi une invalidation médicale de leurs corps sexués. Les variations intersexes sont diverses et variées. Les intersexuations constituent des variations naturelles du développement sexuel.
(3)
La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes a été modifiée le 4 février 2020 pour inclure explicitement les caractéristiques sexuelles comme motif de discriminations : https://www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2020/02/04/2020020361/moniteur
(4)
Voir à ce sujet la loi belge du 22 août 2002 « droits des patients » sur le consentement éclairé et libre : https://www.health.belgium.be/fr/sante/prenez-soin-de-vous/themes-pour-les-patients/droits-des-patients/quels-sont-les-droits-du
(5)
Les personnes qui ne sont pas intersexes sont appelées dyadiques.
(6)
Voir à ce sujet la note d’information du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations unies (FR-2015) https://unfe.org/system/unfe-67-UNFE_Intersex_Final_FRENCH.pdf
(7)
Voir à ce sujet l’analyse de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne pages 50-54 : https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2020-lgbti-equality_en.pdf
(8)
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a considéré les procédures de normalisation non consenties sur les enfants intersexes comme pratiques préjudiciables au même titre que les mutilations génitales féminines. Observations finales (2019) CRC/C/BEL/CO/5-6) du 28 février 2019
https://www.ohchr.org/fr/documents/concluding-observations/crccbelco5-6-concluding-observations-combined-
fifth-and-sixth
(9)
Voir à ce sujet la note d’information du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies (EN-2019) portant sur les violations spécifiques des droits humains auxquelles sont confrontées les personnes intersexes https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Discrimination/LGBT/BackgroundNoteHumanRightsViolationsagainstIntersexPeople.pdf
(10)
Comité des droits de l’enfant : Observations finales (2019) CRC/C/BEL/CO/5-6) du 28 février 2019 https://www.ohchr.org/fr/documents/concluding-observations/crccbelco5-6-concluding-observations-combined-fifth-and-sixth
(11)
Comite des droits de l’homme : Observations finales (2019) CCPR/C/BEL/CO/6 du 6 décembre 2019
https://www.ohchr.org/fr/documents/concluding-observations/ccprcbelco6-human-rights-committee-concluding-
observations-sixth
(12)
Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Observations finales (2020) E/C.12/BEL/CO/5 du 26 mars
2020
https://www.ohchr.org/fr/documents/concluding-observations/ec12belco5-committee-economic-social-and-cultural-rights
(13)
Comité des droits de l’enfant : Observations finales (2019) CRC/C/BEL/CO/5-6 du 28 février 2019
https://www.ohchr.org/fr/documents/concluding-observations/crccbelco5-6-concluding-observations-combined-
fifth-and-sixth
(14)
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Observations finales (2022)
CEDAW/C/BEL/CO/8) du 1
er novembre 2022
https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW%2FC%2FBEL
%2FCO%2F8&Lang=fr
(15)
Appel des chercheur·ses publié le 26 octobre 2022 dans le journal Le Soir
https://www.lesoir.be/473214/article/2022-10-26/agir-pour-garantir-lintegrite-corporelle-des-personnes-intersexuees

(16)
L’article 22bis de la Constitution belge stipule: Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. Chaque enfant a le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement. Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement. Dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale. https://www.senate.be/doc/const_fr.html#mod22bis
(17)
Les principes de Yogjakarta adoptés par les Nations unies ont été ratifiés par la Belgique, notamment le principe 32
dans les PJ+10 qui affirme le droit à l’intégrité corporelle et mentale :
https://www.genrespluriels.be/-Principes-de-Yogyakarta- et https://yogyakartaprinciples.org/principe-32-pj10
(18)
En 2016, la Belgique a ratifié la convention d’Istanbul (2011) dont les principes 38 et 39 interdisent les traitements non consentis sur les parties génitales féminines https://rm.coe.int/1680084840