Un début de relation rêvé

Julie a rencontré Damien le 2 février, lors d’une soirée chez une amie[1]. C’était il y a 1 an et demi.  Cela a été un réel coup de foudre et ils se sont mis en couple très rapidement. Au début, leur relation était idyllique et Julie avait l’impression de rêver : Damien était adorable, toujours aux petits soins, à lui offrir des petits cadeaux et à lui proposer des soirées dignes des plus beaux films romantiques. C’est comme s’il anticipait ses moindres désirs ! Il lui disait qu’elle était la femme de sa vie et cela la rendait tellement heureuse. Les parents de Julie adoraient aussi Damien, un peu comme tout le monde d’ailleurs. Elle se sentait tellement chanceuse de l’avoir trouvé et qu’il se soit intéressé à elle…

Jusqu’à ce que…

Mais, après quelques mois, pendant l’été, un malaise s’est progressivement installé. Damien a commencé à se montrer froid et distant et, quand il adressait la parole à Julie, c’était pour la critiquer. Lorsque Julie lui demanda ce qu’il se passait, il s’énerva en lui disant que tout allait très bien et qu’elle se faisait des idées. Les jours passèrent, la tension était toujours palpable. La jeune femme se sentait stressée et avait peur de ce qu’allait encore lui reprocher Damien, elle avait le sentiment de « marcher sur des œufs ».

Début août, la tension était à son comble : Damien explosa et cracha à Julie que tout était de sa faute, qu’elle faisait tout de travers alors que lui s’investissait tellement dans leur relation et faisait en sorte que leur couple fonctionne. Il était particulièrement fâché qu’elle ait commencé à discuter en ligne avec un ancien ami d’enfance à elle, Jérémy. Julie se sentit alors désespérée et elle fut prise d’un fort sentiment de culpabilité.

Damien avait raison, elle n’aurait pas dû parler à Jérémy qui avait été amoureux d’elle quand ils étaient enfants. Elle se sentait nulle. Elle voulait tellement que les choses redeviennent comme au début de leur relation et se montrer à la hauteur de son compagnon. Elle décida d’arrêter de parler à Jérémy, avec un pincement au cœur car elle avait beaucoup apprécié le retrouver, et fit de son mieux pour satisfaire les demandes de Damien.

Après la pluie, vient le beau temps

Son compagnon finit alors par s’excuser de son comportement. Il lui expliqua qu’il était stressé par son boulot et qu’elle savait très bien qu’il n’aimait pas quand elle parlait à d’autres hommes (parce que son ex à lui l’avait trompé) mais qu’elle l’avait quand même fait. Alors, il avait eu peur qu’elle le trompe, elle aussi. Il lui dit qu’il allait faire des efforts pour être plus serein par rapport à tout cela et faire en sorte de travailler sur son passé douloureux, peut-être même aller voir un ou une psychologue. Le lendemain, quand elle rentra du boulot, il l’accueillit avec un bouquet de fleurs et lui fit une déclaration enflammée. Julie était aux anges, tout redevenait comme avant ! Elle excusa Damien, avec plaisir.

Mais les nuages ne sont jamais loin

Cependant, quelques semaines après la déclaration enflammée de Damien, les reproches recommencèrent… Cette fois, c’était la tenue que Julie avait décidé de porter pour une sortie entre copines début septembre qui était en cause. Damien la trouvait vulgaire et pathétique, comme si elle espérait qu’elle pourrait séduire d’autres hommes avec ces vêtements. Il ajouta que ses amies avaient une mauvaise influence sur elle et qu’il avait pensé qu’elle valait mieux que ça. Honteuse, Julie partit se changer. Elle se dit qu’il avait raison, qu’en choisissant cette tenue, elle avait effectivement espéré qu’elle recevrait des compliments.

Pendant la soirée, il lui envoya plusieurs textos lui demandant où elle était et lui disant qu’il avait envie qu’elle rentre car il ne se sentait pas bien. Elle décida donc d’écourter sa soirée prétextant un mal de tête, alors que ses amies lui faisaient remarquer qu’elles la voyaient moins en moins souvent. Lorsqu’elle rentra, Damien était d’une humeur massacrante et refusa que Julie l’embrasse. Elle sentit une pointe de douleur lui traverser le cœur face à ce rejet.

À nouveau, elle voyait la tension monter de jour en jour et faisait de son mieux pour ne pas que Damien explose. Elle réfléchissait sans cesse à ce qu’elle pourrait faire pour l’apaiser. Encore une fois, elle « marchait sur des œufs ». C’était comme si, peu importe ce qu’elle faisait, Damien la critiquerait, quand il ne l’ignorait pas tout simplement. Lorsque ses amies lui proposèrent une sortie le 15 octobre, elle déclina de peur que Damien explose à nouveau.

Ce jour-là, elle profita qu’il était de sortie pour appeler sa mère et lui expliquer que son compagnon était étrange ces derniers temps. Sa mère lui répondit que cela arrivait à tout le monde et qu’elle devait se montrer plus compréhensive envers lui. Sa mère lui raconta comment Damien avait été adorable avec elle quand il était allé la conduire à son rendez-vous médical la semaine précédente. Elle finit la conversation en lui rappelant combien elle était chanceuse d’être tombée sur un homme aussi charmant. Julie se sentit mal. Qu’est-ce qui clochait chez elle ? Agissait-elle comme une enfant gâtée comme Damien se plaisait à lui répéter ? Elle ressassait tous les reproches qu’il lui avait fait et pensait qu’il avait raison. Elle culpabilisait d’être aussi méprisable.

Le soir même, en rentrant, Damien explosa à nouveau. Cette fois, sa colère était encore pire que la fois précédente. Il lui exprima tout son mépris, lui dit qu’elle le rendait malheureux et qu’il aurait préféré ne jamais la rencontrer. Il lui balança qu’il ne pouvait plus dormir avec elle, qu’elle était répugnante et qu’elle le dégoutait. Il partit en claquant la porte sans lui dire où il allait.

Elle lui envoya alors des messages pour s’excuser mais il ne répondit pas. Face à son absence de réponse, elle commençait à être en colère contre lui et se dit que ça ne pouvait plus continuer comme ça.

Au matin du 16 octobre, après une nuit agitée, elle n’avait toujours pas de nouvelles de lui. Ni le soir du 17 octobre. Elle commençait à avoir peur qu’il ne veuille plus d’elle et sa colère se transformait en tristesse. Elle se disait que ce n’était finalement pas si grave s’il s’était emporté et qu’elle devrait être à l’avenir plus compréhensive envers lui, comme sa mère le lui avait conseillé . Car c’était à cause de son manque de compréhension qu’il était parti. En plus, il a eu une vie difficile… Ce n’était pas la peine qu’elle en rajoute une couche, c’est d’amour dont il avait besoin.

C’est finalement le 18 octobre à 22h00, alors qu’elle s’apprêtait à aller dormir, qu’il rentra. Elle n’osa pas aller le voir de peur qu’il explose à nouveau et fit semblant de dormir. Il se coucha près d’elle comme si de rien était. Elle avait peur et sentait son corps crispé par la tension mais, en même temps, elle se sentait soulagée qu’il soit revenu.

Le matin du 19 octobre, elle fut réveillée par Damien qui lui apportait un petit déjeuner au lit. Il lui dit qu’elle était resplendissante. Julie était désarçonnée. Il s’excusa à nouveau de s’être emporté et lui promit que ça n’arriverait plus. Il  justifia aussi son comportement : c’était à cause de son ex qui l’avait fait tant souffrir. Ensuite, il lui rappela tous les bons souvenirs du début de leur relation et évoqua même leur première rencontre. Il lui dit qu’il l’aimait tellement. Julie se détendit légèrement et se prit à espérer qu’ils étaient repartis sur de bonnes bases cette fois-ci. Pendant quelques jours, tout se passa à merveille entre eux et Damien se montra à nouveau adorable avec elle.

Jusqu’à ce que, encore une fois, la tension revint petit à petit…  

***

Que nous apprend cette histoire ?

Cette brève fiction illustre une situation malheureusement familière pour certain-e-s d’entre vous ou certain-e-s de vos proches. Peut-être avez-vous ressenti une forme de malaise en la lisant ? Rien d’étonnant à cela car, dans cette histoire, Julie est victime de violences conjugales.

De violences conjugales ?! Ah bon ? Mais pourtant Damien ne la frappe pas… Il ne faut pas exagérer quand même !

Les violences conjugales ne se limitent pas aux coups[2]. Elles peuvent prendre différentes formes[3] :

  • Les violences physiques (coups, casser un objet, empêcher des besoins primaires comme boire ou aller aux toilettes, intoxiquer, pincer, etc.) ;
  • Les violences sexuelles (viol ou tentative de viol, harcèlement, exhibitionnisme, pratiques non consenties, excision, grossesses ou avortements forcés, etc.) ;
  • Les violences économiques (emprunt d’argent non remboursé, revente de biens personnels, interdiction de travailler, menaces de couper les vivres, contrôle total des finances, etc.) ;
  • Les violences sexospécifiques (répudiation, mariage forcé, charge mentale, alimentation différenciée, mariage au violeur, etc.) ;
  • Les violences verbales (qui sont liées aux violences psychologiques comme adopter un ton menaçant, des propos dégradants, etc.) ;
  • Les violences psychologiques (dénigrement, rejet, privation d’affection, injures, culpabilisation, contrôle, indifférence, etc.).

Dans ce récit, nous pouvons constater que Damien est auteur de violences verbales et de violences psychologiques. Les violences psychologiques sont « un ensemble de comportements, de paroles, d’actes et de gestes qui vise à porter atteinte à l’intégrité psychique ou mentale de l’autre. Ces violences s’attaquent directement à l’identité, l’estime de soi et la confiance en soi de la personne qui les subit »[4].

Ce n’est pas parce que les violences psychologiques ne laissent pas de traces visibles – comme des hématomes – qu’elles sont moins dangereuses.  Les violences conjugales peuvent être uniquement d’ordre psychologiques.

Les violences psychologiques ont aussi des conséquences durables sur les victimes (baisse de l’estime de soi, anxiété, dépression, stress post-traumatique, dépendance à l’alcool ou à une autre substance psychoactive, etc.)[5] et sont en partie responsables de la difficulté pour celles-ci de quitter une relation où les violences conjugales sont présentes. En effet,  au travers des violences, les auteurs développent une emprise sur les victimes. Par ailleurs, ces violences sont souvent invisibles pour les personnes extérieures à la relation et d’autant plus difficiles à prouver comme elles ne laissent pas de trace physique.

Oui mais ça arrive à tout le monde d’être désagréable avec sa compagne/son compagnon, avec le stress du boulot et les autres tracas quotidiens, c’est normal…

Ce qui permet de distinguer les violences conjugales d’un excès de mauvaise humeur ou d’une dispute entre partenaires est notamment le caractère cyclique du processus. Dans ce récit, nous pouvons observer les différentes phases de la violence conjugale qui se répètent. Tout se passe bien, ensuite la tension monte progressivement, Damien explose, Julie ressent des émotions ambivalentes, et Damien finit par s’excuser. Jusqu’à ce que la tension monte à nouveau… Et ainsi de suite. En effet, la violence conjugale fonctionne par phases qui se reproduisent, de manière de plus en plus rapprochées et de plus en plus intenses[6]. Il se passe de moins en moins de temps entre les explosions de Damien qui réagit avec de plus en plus de virulence. Voici ces 4 étapes appliquées au cas de Julie et Damien, chaque couleur dans leur histoire correspond à une étape[7] :

  • La phase de construction de la tension: Lors de cette phase, la tension dans le couple est palpable. Tout est susceptible d’énerver l’auteur de violences : frustration, mauvaise journée, cris des enfants… Pour apaiser ces tensions, la seule possibilité envisageable pour la victime est de s’adapter aux besoins de son/sa partenaire afin d’éviter ou de diminuer ses frustrations. Malheureusement, souvent, l’adaptation de la victime ne suffit pas et l’agresseur finit tôt ou tard par avoir recours à la violence. Petit à petit, l’agresseur déshumanise la personne et aura de moins en moins de mal à la menacer. Il la place au rang d’objet. De son côté, la victime perd confiance en elle et tente tant bien que mal de s’ajuster aux humeurs de son partenaire. Les comportements conciliants de la victime ont tendance à « légitimer » les actes de l’agresseur (assuré dans son rôle de dominant) qui finira par exploser.
  • La phase d’explosion: Cette phase n’est autre que le passage à l’acte de l’agresseur, il explose et la violence (sous ses différentes formes) éclate.
  • La phase d’accalmie: Lors de cette phase, la victime se rend souvent compte qu’elle a été victime de violences et ressent de la colère face à son partenaire. C’est le moment idéal pour partir. Malheureusement, l’emprise de l’agresseur est telle que, bien souvent, la victime culpabilisera des sentiments négatifs qu’elle ressent à son égard. Ses sentiments sont donc ambivalents et elle ignore ce qu’elle doit faire. L’agresseur se sentant en danger va user de diverses stratégies pour que la victime ne souhaite pas la séparation. Et cette dernière finira par excuser le comportement de son partenaire en entrant dans un processus de minimalisation, de dédramatisation et de déni face aux violences qu’elle a subies. Par ailleurs, la crainte de se confronter à un échec dû à la rupture de son couple et de briser la cellule familiale est telle que, rapidement, la victime accepte les justifications de l’agresseur.
  • La phase de lune de miel: Cette dernière phase sert essentiellement à ce que le processus de violences entre partenaires perdure. L’agresseur s’excusera, offrira des cadeaux et tentera de faire oublier les évènements. Aussi, il manipulera la victime en lui faisant croire qu’il se remet en question et qu’il se rend compte d’avoir dépassé les bornes. La victime se persuade alors que l’épisode de violences ne se reproduira plus et qu’il s’agissait d’un épisode isolé. Cette phase peut durer des jours, des semaines et même des années.

La lune de miel terminée, le cycle de la violence recommencera dès qu’il y aura d’autres tensions et frustrations dans la vie de l’agresseur. Plus le cycle se répète, plus les périodes de rémissions se réduisent et au bout d’un certain temps, les différentes étapes du cycle ne feront plus qu’une, les périodes de « calme » n’étant plus nécessaires au déroulement du cycle : la victime est persuadée de mériter et d’être responsable de cette violence tant son estime d’elle-même est bafouée.

Par ailleurs, il ne s’agit pas d’un simple excès de mauvaise humeur ou d’une dispute entre partenaires parce que Damien utilise la violence pour contrôler[8] Julie. Progressivement, il gagne de l’emprise sur elle. Elle se plie de plus en plus à ses désirs (oubliant complètement ses propres besoins) et tente de s’y adapter au maximum.

La violence conjugale peut se présenter dans tous les types de relation de couple, peu importe l’orientation sexuelle des partenaires, leurs âges, s’ils sont mariés ou non, si le couple comprend deux personnes ou plus, etc.

Comme vous avez pu le constater à travers cette histoire, la violence conjugale est un phénomène complexe et peut se décliner de différentes manières. En effet, la violence conjugale ne se résume pas au stéréotype de mari qui bat sa femme et elle prend parfois des formes plus subtiles et moins visibles, notamment à travers la violence psychologique.

Ampleur du phénomène

Par ailleurs, une enquête de l’IEFH (2010) sur la Belgique montre que la violence conjugale[9] touche majoritairement les femmes qui subissent plus de violences dites « graves » et « très graves » que les hommes[10]. De plus, une enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (2014)[11] révèle qu’en Belgique, 1 femme sur 4 (24%) a subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part de son partenaire ou ex-partenaire.

En ce qui concerne la violence psychologique, en Europe, 43% des femmes ont été confrontées à des comportements abusifs ou à de la violence psychologique au sein de leur couple[12]. En Belgique, la violence psychologique entre partenaires toucherait 1 couple sur 8[13].

La violence psychologique entre partenaires n’est donc pas un phénomène anodin puisqu’elle touche de nombreuses femmes et a des conséquences importantes sur leur santé, au même titre que la violence physique entre partenaires.

Pour en apprendre plus

Pour plus d’informations sur les violences conjugales, consultez notre dossier thématique.

Si vous êtes victime de violences conjugales, cliquez ici.

Si vous êtes auteur de violences conjugales, cliquez ici.

Si vous êtes témoin de violences conjugales, cliquez ici.

[1] Ceci est un récit fictif.

[2] Ni aux couples hétérosexuels. Même si la violence conjugale est une violence de genre, car il s’agit d’un phénomène de société  où on observe un nombre disproportionné de femmes qui sont victimes de violences conjugales et d’hommes qui en sont les auteurs (l’inverse peut exister aussi mais c’est beaucoup plus rare et il ne s’agit donc pas d’un phénomène de société).

[3] https://www.ecouteviolencesconjugales.be/pourquoi-appeler/victime/les-formes-de-violence/

[4] Ibid.

[5] Lamy, C., Dubois, F., Jaafari, N., Carl, T., Gaillard, P., Camus, V., & El Hage, W. (2009). Profil clinique et psychopathologique des femmes victimes de violences conjugales psychologiques. Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique, 57(4), 267–274. doi:10.1016/j.respe.2009.04.007

[6] https://www.ecouteviolencesconjugales.be/pourquoi-appeler/victime/cycle-de-la-violence/#main

[7] https://www.sofelia.be/nos-dossiers-thematiques/dossier-violences-conjugales/#ftoc-heading-6

[8] https://www.ecouteviolencesconjugales.be/pourquoi-appeler/victime/violence-vs-conflit/#main

[9] Violence commise par un partenaire ou un ex-partenaire.

[10] IEFH (2010). Les expériences des femmes et des hommes en matière de violence psychologique, physique et sexuelle. Disponible sur : https://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/ervaringen_van_vrouwen_en_mannen_met_psychologisch_fysiek_en_seksueel_geweld

[11] FRA (2014). Violence à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’UE. Disponible sur : https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra-2014-vaw-survey-at-a-glance_fr_0.pdf

[12] https://www.amnesty.be/camp/droits-des-femmes/violence-conjugale/article/chiffres?lang=fr

[13] Ibid.