La santé sexuelle est une branche de la santé. Favoriser un accès équitable à une bonne santé sexuelle pour toutes et tous est primordial. Cela fait quelques années que l’EVRAS (Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle) est entrée dans les établissements scolaires et parascolaires où sont dispensées des séances d’animations et d’informations sous différentes formes à destination des enfants et des adolescent·e·s. L’éducation, en quelle que matière que ce soit, est la meilleure des préventions, car elle favorisera des comportements respectueux, la sexualité positive et l’épanouissement de chacun·e.
Depuis plusieurs années, nous, travailleuses au Centre de Planning familial Soralia de Verviers, développons l’EVRAS dans le milieu du handicap et plus spécifiquement à destination des personnes ayant une déficience intellectuelle dans les établissements d’enseignement spécialisé mais aussi dans les services accueillant des adultes.
La vie relationnelle et affective des personnes déficientes n’est pas un sujet facile car elle oppose toutes les difficultés que leur impose leur déficience. Les personnes souffrant de déficiences intellectuelles n’ont pas les mêmes accès à la vie sociale, culturelle, à la même liberté de penser et d’agir que toute autre personne en construction (enfant, adolescent·e, etc.). L’éducation peut prendre des formes différentes selon les possibilités de la personne.
L’expérimentation est essentielle à la construction identitaire et à l’autonomisation future de la personne, mais elle n’est pas, là non plus, aussi accessible : les discussions entre amis, les sorties, les relations, tester ses limites et celles des autres… tout est davantage maitrisé pour mieux se protéger. Faire des choix, connaitre et gérer ses émotions, se respecter soi-même et les autres, comprendre et appliquer le consentement, tout cela s’apprend. En tant que Centre de Planning familial, notre mission est d’offrir cet accès à l’EVRAS et à toutes ces notions.
Les différents points d’attention à maintenir dans les différents milieux de vie de la personne déficiente intellectuellement pour que l’EVRAS soit possible et accessible
- De nombreuses personnes déficientes vivent dans un environnement plus ou moins « encadré », avec la mise en place d’accompagnements et de prises en charge diverses et variés. La vie affective suppose d’avoir un accès libre à son intimité, il faut donc travailler cette accessibilité avec les actrices·teurs, les familles et/ou les professionnel·le·s qui accueillent les personnes avec des besoins spécifiques.
- Il est important que tous les actrices·teurs travaillent ensemble, en simultané, afin d’éviter que les personnes déficientes ne se retrouvent encore plus démunies. Si l’on vous vante les bienfaits du pain, son goût mais aussi ses vertus sur la santé, sa bonne odeur et que dans un même temps on vous dit que pour vous ne pourrez pas en bénéficier, cela devient presque de la torture.
- Il est primordial d’écouter les questionnements, les peurs et les doutes des familles, de l’entourage, des écoles et des professionnelle·s, de les accompagner, de les outiller en étant conscient·e·s que tout reste à construire, d’autant plus qu’il s’agit d’intimité dans un milieu de vie collectif et encadré.
- Il est important que tous les actrices·teurs impliqué·e·s soient au clair, à la fois avec ses propres valeurs, sa culture, ses limites concernant la vie affective et sexuelle mais aussi avec les lois de notre pays, la convention des Nations unies pour les personnes en situation de handicap et ce que le milieu de vie de la personne permet ou ne permet pas (que ce soit en terme de fonctionnement, de ressources matérielles et humaines, de règlement d’ordre intérieur, de philosophie, etc.).
En bref, le maitre-mot est le partenariat !
Un travail et un accompagnement à adapter en fonction des spécificités du public concerné
Il n’y a pas d’animations « standards » ou « pré-déterminées ». Chaque animation et chaque thème doivent être adaptés au regard de la situation, des difficultés mais aussi des forces et des ressources des personnes.
De manière générale, il est intéressant d’/de :
- Partir de leurs questionnements, de leurs souhaits afin de ne pas passer à côté de l’objectif de l’animation EVRAS. Si vous faites un « cours » sur une thématique, vous les perdrez les une·s après les autres.
- Leur donner la parole et ce malgré les difficultés de certaine·s à s’exprimer et d’autres n’ayant pas du tout accès au langage. Il faut inventer, dessiner, se servir d’objets concrets et de la technologie, demander l’aide des autres participant·e·s (qui souvent comprennent mieux que quiconque le langage non-verbal développé). Il faut leur donner un espace où déposer leur parole et ne pas vouloir leur faire dire ce qu’on a envie d’entendre : il est important de rendre la personne active pendant les animations.
- Communiquer car les concepts comme l’amour, l’amitié, faire l’amour, faire un câlin… ne veulent pas toujours dire la même chose pour toutes et tous. Il est important de s’accorder sur le sens qu’on y donne pour éviter les malentendus et être certaine·s que l’on parle bien de la même chose.
- Utiliser des activités appréciées par le groupe entraînera des conséquences positives. Il est essentiel de faire des liens entre ce qui est vu en animations et ce que les participante·s vivent en dehors, au quotidien.
- Eviter à tout prix l’animation « One Shot » car contrairement à ce qui se trouve être généralement la « norme » dans les milieux dits « ordinaires », les animations de groupe dans les milieux spécialisés ne peuvent, en aucun cas, se dérouler en une ou deux séances par thème abordé. Le besoin de concret, de relier les concepts abordés à leur propre réalité, besoins ou désirs est indispensable à la compréhension et à une « maitrise » minimale (exemples : jalousie, amour, amitié, couple, relation sexuelle, consentement, respect, etc.).
- Prendre conscience que notre temps n’est pas leur temps et en tenir compte dans les animations. C’est la raison pour laquelle il faut d’emblée prévoir un certain nombre d’animations réparties sur plusieurs mois à raison, idéalement, d’une fois tous les 15 jours à maximum un mois entre les animations. Le temps aussi de créer un lien, le temps d’éprouver, le temps d’assimiler, de revenir dessus,… c’est là aussi une des spécificités de la déficience intellectuelle. Les séances d’animations ne doivent pas être trop longues sinon les personnes ne sont plus attentives (maximum 1 heure).
- Travailler en binôme peut être bénéfique tant pour les animatrices tant pour les animatrices·teurs que pour les participant·e·s. L’idéal est d’ailleurs que les deux professionnel·le·s possèdent une formation différente. De plus, s’il s’agit de deux animatrices·teurs de genres différents, les participant·e·s pourront parfois s’adresser plus particulièrement à la·au professionnel·le du même sexe qu’elles·eux ou du sexe opposé (mais cela n’est pas toujours possible). Certains thèmes plus spécifiques aux genres pourront être abordés séparément (par exemple : les règles).
- Veiller, en tant qu’animatrice·teur, au lien qui se crée avec la personne et au risque de transfert psychologique.
Quels sont les besoins en matière d’EVRAS à destination des personnes déficientes intellectuellement ?
- Des intervenante·s formé·e·s ou désirant se former à la fois à l’EVRAS et au handicap. Les structures actuelles peinent à répondre à toutes les demandes !
- De la visibilité auprès d’un public non habitué aux services dispensés par le Planning familial.
- Du temps : l’EVRAS est tout aussi importante que les autres apprentissages de la vie et pourtant, de manière générale, on ne lui accorde pas suffisamment de temps. Avec ce public particulier, l’EVRAS est à envisager sur du long cours, et pas en deux ou trois séances.
- Une législation claire et simplifiée permettant aux intervenante·s de travailler dans un cadre sécurisant.
Les projets destinés aux personnes déficientes intellectuellement développés au Centre de Planning familial Soralia de Verviers
A Verviers, le coordinateur Rémi Gueuning et l’équipe du Centre à travers ses deux intervenantes, Maria Rotolo et Isabelle Dethier, soutiennent la mise en place de projets et contribuent à développer l’offre de services en matière d’EVRAS à destination des personnes ayant une déficience intellectuelle, leur famille et les professionnel·le·s qui font partie de leur réseau.
Les services proposés par le Centre
- Des animations dans les établissements d’enseignement spécialisé aussi bien primaire que secondaire de la région.
- Des espaces de parole EVRAS individuels et de couples.
- Des groupes de parole pour les adultes provenant de différents services d’accueil de jour et résidentiels.
- Des moments de réflexions et d’échanges avec des équipes de professionnelle·s se posant des questions sur le sujet (écoles, service résidentiel, PMS, etc.).
- Un partenariat avec les équipes souhaitant mettre en place des animations avec leurs propres ressources humaines (construction d’animation, adaptation d’outils, débriefing, etc.).
- Des ateliers d’animations lors de journées consacrées à l’EVRAS.
Les thèmes abordés
Il importe de parler de tous les sujets tout en vérifiant au préalable que les personnes sont prêtes à les aborder. Il ne faut pas leur imposer des sujets qu’elles ne sont pas prêtes à entendre.
Ci-dessous est reprise une liste non-exhaustive des sujets abordés en animation EVRAS avec des personnes ayant une déficience intellectuelle :
- Les règles du groupe ;
- Se présenter – la question du moi – qui suis-je ? ;
- Les étapes de la vie ;
- Les émotions ;
- Le consentement ;
- La notion de choix ;
- Le corps – les changements du corps – la puberté ;
- L’hygiène – prendre soin de son corps ;
- L’intimité (parties du corps à toucher, respect du territoire) ;
- Les relations entre les autres et moi ;
- La relation amoureuse ;
- Le consentement – dire non – l’abus – comment vivre la frustration du non ? ;
- La masturbation ;
- La contraception ;
- La grossesse ;
- Les violences ;
- …
Les outils utilisés
Certains programmes et outils d’animations destinés aux personnes en situation de handicap existent déjà mais ils ne sont pas suffisamment nombreux. Citons, par exemple, la mallette contraceptive de la Fédération laïque des centres de planning familial, les femmes et des hommes des Presses Universitaires de Namur, « Handicap et sexualité : entre désir et réalité » de l’ASPH de Liège en collaboration le CPF-Soralia de Liège.
Le Centre utilise essentiellement ses propres créations ou adapte certains outils déjà existants. Il est intéressant d’utiliser des supports visuels tels que des photos-langages, des vidéos, des pictogrammes et des outils manipulables (ex : miroir, serviette hygiénique, faux pénis, etc.).
Dernièrement, le Centre a travaillé sur le thème suivant : « Comment faire la différence entre amour et amitié ? ». Ces deux concepts, parfois très imbriqués, font souvent l’objet de confusions chez les personnes déficientes intellectuellement. C’est pourquoi le Centre a créé un jeu de l’oie géant pour faciliter l’échange et la compréhension de cette différence. Le plateau se présente sous la forme d’un parcours de 21 cases. De la case départ à la case d’arrivée, les cases traversées sont classées en quatre catégories : amitié, amour, chance ou malchance et épreuve. Lorsque le joueur tombe sur une case, il pioche la carte correspondante. Sur chaque carte, il y a une question, une épreuve ou une mise en situation qui permettent d’explorer, d’exprimer et de partager sur les thèmes de l’amitié et de l’amour.
Certains projets sont en construction par le Centre comme un projet de stage avec des jeunes de 12 à 14 ans pendant les vacances scolaires ou encore un projet proposant trois ou quatre soirées à thème par an destinées aux parents.
Une contribution externe de Maria Rotolo et d’Isabelle Dethier, travailleuse au Centre de Planning familial Soralia de Verviers.